samedi 14 mai 2016

Régime du Président Kabila contre Katumbi : La guerre des nerfs




La lutte, les parties 

Le bras de fer entre le Gouvernement de la RDC et le candidat déclaré à la probable élection présidentielle de novembre 2016, Moïse Katumbi, a connu un nouvel épisode, cette fois judiciaire, au Parquet de Lubumbashi, ce 09 mai 2016.
En effet, Katumbi a été convoqué au Parquet de Lubumbashi pour y être entendu sur les accusations de recrutement des mercenaires étrangers dont des Américains pour déstabiliser le régime en place en RDC. L’ouverture d’un dossier judiciaire contre Moïse Katumbi a été annoncée le 04 mai 2016 par le ministre de la Justice Alexis Tambwe Mwamba. Accusations que le concerné qualifie de montages grotesques et de mensonges, peu après avoir annoncé sa candidature à l’élection présidentiel de 2016.  
Passé à l’opposition, il y a à peine huit mois, après avoir été l’un de barons de la majorité au pouvoir, Katumbi a choisi de claquer la porte en septembre 2015. Depuis lors, l’homme fait face à de multiples obstacles que plusieurs observateurs qualifient d’intimidations de la part de ses anciens alliés du Gouvernement : restrictions de mouvement, surveillance rapprochée, arrestations de ses proches… Le tout viserait son élimination politique à la course à la probable élection présidentielle de la fin de cette année.  
Quant au Gouvernement du président Kabila, il s’en défend, accusant plutôt Katumbi de manipulation de la presse et d’une stratégie de victimisation en vue d’occuper le devant de la scène politique congolaise. A quelles fins ? Nul ne pourra le dire. Moise Katumbi est suffisamment populaire en RDC qu’il n’aurait pas vraiment assez d’effort à se faire élire, s’il y avait des élections libres, démocratiques et transparentes. C’est ce qui justifierait l’acharnement du régime du Président Kabila : Katumbi est la seule alternative sérieuse en face de lui.
Convoqué encore le 13 mai par un Magistrat du Parquet de Lubumbashi, Moise Katumbi n’a pu être auditionné puisque blessé au cours des échauffourées entre les milliers des partisans qui l’accompagnaient et les éléments de la Police Nationale Congolaise déployés en grand nombre. 

Atouts et handicaps des parties

De l’issue de la lutte engagée au «Katanga» entre le Président Kabila et l’ancien Gouverneur Katumbi, hier alliés, dépendra l’avenir de la Démocratie et de la RDC dans son ensemble.
C’est vrai que le Président Kabila dispose de moyens de l’Etat: Police, Justice, Finances publiques…Et il n’hésitera pas à recourir à l’Armée lourdement déployée au Katanga, si cela s’avérait nécessaire pour son maintien au pouvoir. Le Président Kabila, lui-même ; originaire du Nord du Katanga, compte encore dans son camp de nombreux caciques venus de cette partie du pays qui servent de contrepoids au camp de Katumbi. Ils occupent des postes clés au sein des FARDC, particulièrement la Garde Républicaine – troupe d’élite chargée de la Protection du Président de la République, -  de la PNC et du Gouvernement en place et participent discrètement dans cette confrontation, la plupart se cachant derrière leurs obligations officielles.
Une autre arme qu’a utilisée le régime du Président Kabila est la division des partis politiques qui ont quitté la majorité. L’UNAFEC, le MSR…comptent aujourd’hui des ailes dissidentes reconnues par l’Administration. Cette pratique a fragilisé ces grands partis, laissant leurs partisans partagés entre deux factions se situant de part et d’autre de la scène politique. Interpellé par l’Assemblée nationale pour s’expliquer sur le dédoublement des partis politiques de l’opposition, le Vice – Premier Ministre de l’Intérieur a nié toute intention de fragilisation de ces partis et soutenu que la reconnaissance des ailes dissidentes était accordée dans le respect des lois de la République. Ce qui reste à démontrer!
Subissant les pressions ouvertes des USA depuis l’année passée et beaucoup plus récemment de la France et de la Grande Bretagne, pour le respect du délai constitutionnel et pour plus de liberté dans l’arène politique, le Président Kabila semble avoir perdu de nombreux soutiens à l’extérieur. Même la Belgique, souvent réservée sur la situation politique dans son ancienne colonie, a mis en garde, par l’entremise de son Ministre des Affaires Etrangères, les autorités congolaises contre les restrictions des libertés et la fermeture de l’espace public. Certains de ces pays envisageraient même des sanctions ciblées contre des personnalités soupçonnées d’encourager ou de commettre des actes de répression politique.   
Le silence prolongé du Président Kabila sur toute question ayant trait aux élections de 2016 et de son avenir après la fin de son deuxième et le recours inconsidéré à la force policière et à une Justice apparemment soumise contre les opposants et les activistes réclamant plus de liberté et de Démocratie constituent des éléments sur lesquels se fondent la majorité du people congolais et des observateurs pour soutenir que le Gouvernement congolais et la CENI n’ont tout simplement pas la volonté d’organiser les élections dans le délai prescrit par la Constitution et ont intentionnellement prévu le blocage en cours.
A cela, il faudrait ajouter le bilan mitigé du Gouvernement en place en matière de gouvernance, des Droits Humains et de la sécurité. Les retombées de la croissance économique du Premier Ministre Matata ne sont pas toujours pas ressenties par une grande frange de la population, des activistes de Droits Humains et des opposants sont en prison pour des raisons non fondées, les groupes armés nationaux et étrangers sont toujours actifs à l’Est du pays où ils massacrent en toute quiétude et dans une certaine indifférence du Gouvernement central, l’accès aux services sociaux de base reste catastrophique. Dans le secteur de l’emploi, par exemple, le taux de chômage est inconnu et les seuls fournisseurs d’emploi viable  sont les agences du système des Nations Unies et les ONG internationales. Le recrutement dans les entreprises et la fonction publique est fondé sur le fanatisme politique et le népotisme…
De l’avis de nombreux congolais avec lesquels je discute, ils auraient fait preuve de moins de vigueur à réclamer le départ du régime du Président Kabila, si son bilan était défendable.  Certains pensent même qu’ils lui auraient accordé la modification de la Constitution pour continuer son œuvre, à l’instar du Président Paul Kagamé du Rwanda, s’il avait réussi au moins à rétablir la sécurité à l’Est du pays.
Le camp soutenant Katumbi, quant à lui, mise sur la popularité forgée par ce dernier au fil des années, grâce à son club de football, le célèbre Tout – Puissant Mazembe, et son passage à la tête du Katanga que ses sympathisants qualifient de succès. Des routes, des centres de santé et des écoles ont été construits. Les recettes de l’Etat ont été multipliées de manière exponentielle. Les conditions de travail des employés congolais des entreprises multinationales ont été améliorées apaisant ainsi les tensions sociales récurrentes dans cette riche province minière qu’était le Katanga.
En plus, au moins deux plates-formes regroupant certains grands partis politiques le soutiennent et l’ont sollicité comme leur candidat avant même qu’il ne se prononce lui- même : le Groupe de 7 ou G7 constitué de sept partis politiques ayant quitté la majorité présidentielle l’année passée et l’Alternance pour la République réunissant plusieurs petits partis. Si certaines des personnalités drainent derrière Katumbi des foules des partisans qui s’ajoutent à ses propres soutiens, d’autres, par contre, sont plus des handicaps, à cause de leur passé trouble. C’est le cas, par exemple, de Gabriel Kyungu Wa Kumwanza, le président du parlement de l’ex Province du Katanga. L’homme a certes une grande base populaire dans tout le Katanga, mais est surtout connu dans d’autres coins de la RDC pour ses discours xénophobes et quasi sécessionnistes et les méthodes brutales des jeunes de son parti, l’UNAFEC, qu’il appelle, sans pudeur aucune, «combattants».
Par ailleurs, Katumbi est aussi un homme d’affaires prospère et généreux. L’homme dispose d’une grande fortune et figure parmi les Africains les plus riches et n’hésite pas à donner. Dans le contexte politique congolais, la richesse peut être considéré aussi bien comme un atout que comme un handicap. Elle sert à entretenir les alliances et au financement de la lutte puisqu’il y a pas de campagne politique sérieuse sans argent. Mais la générosité légendaire de Moïse Katumbi et sa fortune  attirent aussi de nombreux opportunistes et parasites, ne partageant ni sa vision, ni sa conviction politique. 

En conclusion…

L’appât du gain et l’opportunisme politique risquent de faire entourer Moïse Katumbi par les mêmes dinosaures qui ont noyauté le régime du Président Kabila et celui de Mobutu avant lui, les conduisant à la ruine. Espérons que Moise Katumbi qui a toutes les chances pour gouverner la RDC ne serait naïf au point de répondre favorable à toutes les sollicitations. Il devrait verser un peu de cire d’Ulysse dans ses oreilles pour ne pas être séduit par tous les chants des sirènes  de l’espace politique congolais.
 Et au moins d’un recours aveugle à la force, ce qui ne sera pas sans conséquence au regard de la justice internationale  et de l’histoire ou d’un retournement de la situation par l’acceptation par la majorité des Congolais du prolongement de son mandat à cause du retard dans l’organisation des élections, le Président Kabila devrait quitter le pouvoir d’ici la fin de l’année pour l’amour du pays, en suivant l’exemple de l’ancien Président Michel Martelly en Haïti. Et le peuple congolais lui sera éternellement reconnaissant de lui avoir épargné une nouvelle guerre, d’une nouvelle crise et leurs conséquences.
De la lutte entre Katumbi et le Président Kabila, qui plus se déroule au Katanga, dépendra l’issue de la crise politique actuelle en RDC. Si le régime du Président Kabila parvient à vaincre Moïse Katumbi en le faisant arrêter ou le contraignant à l’exil – ce qui est aussi possible -, sans une réaction populaire décisive à Lubumbashi, Kinshasa, Kisangani, Goma, Bukavu, Bunia, Mbuji-Mayi, Kananga, Gbadolite, Matadi et autres grandes villes du pays, alors aucun autre politicien congolais ne pourra se fonder sur le peuple congolais pour faire plier le Président Kabila.
Entretemps, c’est la guerre des nerfs entre le Président Kabila et Moise Katumbi. Le premier doit tenir face aux pressions populaires et internationales et le second contre la Justice et les services de sécurité congolais.  C’est celui qui sera apte à tenir mentalement le plus longtemps possible qui gagnera. Quelle que soit l’issue, l’avenir des millions des Congolais en dépendra!
A suivre…

 UK

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire