La lutte, les parties
Le bras de fer
entre le Gouvernement de la RDC et le candidat déclaré à la probable élection
présidentielle de novembre 2016, Moïse Katumbi, a connu un nouvel épisode,
cette fois judiciaire, au Parquet de Lubumbashi, ce 09 mai 2016.
En effet, Katumbi a
été convoqué au Parquet de Lubumbashi pour y être entendu sur les accusations
de recrutement des mercenaires étrangers dont des Américains pour déstabiliser
le régime en place en RDC. L’ouverture d’un dossier judiciaire contre Moïse
Katumbi a été annoncée le 04 mai 2016 par le ministre de la Justice Alexis
Tambwe Mwamba. Accusations que le concerné qualifie de montages grotesques et
de mensonges, peu après avoir annoncé sa candidature à l’élection présidentiel
de 2016.
Passé à
l’opposition, il y a à peine huit mois, après avoir été l’un de barons de la
majorité au pouvoir, Katumbi a choisi de claquer la porte en septembre 2015.
Depuis lors, l’homme fait face à de multiples obstacles que plusieurs
observateurs qualifient d’intimidations de la part de ses anciens alliés du
Gouvernement : restrictions de mouvement, surveillance rapprochée,
arrestations de ses proches… Le tout viserait son élimination politique à la
course à la probable élection présidentielle de la fin de cette année.
Quant au Gouvernement
du président Kabila, il s’en défend, accusant plutôt Katumbi de manipulation de
la presse et d’une stratégie de victimisation en vue d’occuper le devant de la
scène politique congolaise. A quelles fins ? Nul ne pourra le
dire. Moise Katumbi est suffisamment populaire en RDC qu’il n’aurait pas
vraiment assez d’effort à se faire élire, s’il y avait des élections libres, démocratiques
et transparentes. C’est ce qui justifierait l’acharnement du régime du
Président Kabila : Katumbi est la seule alternative sérieuse en face de
lui.
Convoqué encore le
13 mai par un Magistrat du Parquet de Lubumbashi, Moise Katumbi n’a pu être
auditionné puisque blessé au cours des échauffourées entre les milliers des
partisans qui l’accompagnaient et les éléments de la Police Nationale
Congolaise déployés en grand nombre.
Atouts et handicaps des parties
De l’issue de la
lutte engagée au «Katanga» entre le Président Kabila et l’ancien Gouverneur
Katumbi, hier alliés, dépendra l’avenir de la Démocratie et de la RDC dans son
ensemble.
C’est vrai que le
Président Kabila dispose de moyens de l’Etat: Police, Justice, Finances
publiques…Et il n’hésitera pas à recourir à l’Armée lourdement déployée au
Katanga, si cela s’avérait nécessaire pour son maintien au pouvoir. Le Président
Kabila, lui-même ; originaire du Nord du Katanga, compte encore dans son
camp de nombreux caciques venus de cette partie du pays qui servent de contrepoids
au camp de Katumbi. Ils occupent des postes clés au sein des FARDC, particulièrement
la Garde Républicaine – troupe d’élite chargée de la Protection du Président de
la République, - de la PNC et du
Gouvernement en place et participent discrètement dans cette confrontation, la
plupart se cachant derrière leurs obligations officielles.
Une autre arme qu’a
utilisée le régime du Président Kabila est la division des partis politiques
qui ont quitté la majorité. L’UNAFEC, le MSR…comptent aujourd’hui des ailes
dissidentes reconnues par l’Administration. Cette pratique a fragilisé ces
grands partis, laissant leurs partisans partagés entre deux factions se situant
de part et d’autre de la scène politique. Interpellé par l’Assemblée nationale
pour s’expliquer sur le dédoublement des partis politiques de l’opposition, le
Vice – Premier Ministre de l’Intérieur a nié toute intention de fragilisation
de ces partis et soutenu que la reconnaissance des ailes dissidentes était
accordée dans le respect des lois de la République. Ce qui reste à démontrer!
Subissant les
pressions ouvertes des USA depuis l’année passée et beaucoup plus récemment de
la France et de la Grande Bretagne, pour le respect du délai constitutionnel et
pour plus de liberté dans l’arène politique, le Président Kabila semble avoir
perdu de nombreux soutiens à l’extérieur. Même la Belgique, souvent
réservée sur la situation politique dans son ancienne colonie, a mis en garde,
par l’entremise de son Ministre des Affaires Etrangères, les autorités congolaises
contre les restrictions des libertés et la fermeture de l’espace public.
Certains de ces pays envisageraient même des sanctions ciblées contre des
personnalités soupçonnées d’encourager ou de commettre des actes de répression
politique.
Le silence prolongé
du Président Kabila sur toute question ayant trait aux élections de 2016 et de
son avenir après la fin de son deuxième et le recours inconsidéré à la force
policière et à une Justice apparemment soumise contre les opposants et les activistes
réclamant plus de liberté et de Démocratie constituent des éléments sur
lesquels se fondent la majorité du people congolais et des observateurs pour
soutenir que le Gouvernement congolais et la CENI n’ont tout simplement pas la
volonté d’organiser les élections dans le délai prescrit par la Constitution et
ont intentionnellement prévu le blocage en cours.
A cela, il faudrait
ajouter le bilan mitigé du Gouvernement en place en matière de gouvernance, des
Droits Humains et de la sécurité. Les retombées de la croissance économique du
Premier Ministre Matata ne sont pas toujours pas ressenties par une grande
frange de la population, des activistes de Droits Humains et des opposants sont
en prison pour des raisons non fondées, les groupes armés nationaux et étrangers
sont toujours actifs à l’Est du pays où ils massacrent en toute quiétude et
dans une certaine indifférence du Gouvernement central, l’accès aux services
sociaux de base reste catastrophique. Dans le secteur de l’emploi, par exemple,
le taux de chômage est inconnu et les seuls fournisseurs d’emploi viable sont les agences du système des Nations Unies
et les ONG internationales. Le recrutement dans les entreprises et la fonction
publique est fondé sur le fanatisme politique et le népotisme…
De l’avis de
nombreux congolais avec lesquels je discute, ils auraient fait preuve de moins
de vigueur à réclamer le départ du régime du Président Kabila, si son bilan
était défendable. Certains pensent même
qu’ils lui auraient accordé la modification de la Constitution pour continuer
son œuvre, à l’instar du Président Paul Kagamé du Rwanda, s’il avait réussi au
moins à rétablir la sécurité à l’Est du pays.
Le camp soutenant
Katumbi, quant à lui, mise sur la popularité forgée par ce dernier au fil des
années, grâce à son club de football, le célèbre Tout – Puissant Mazembe, et
son passage à la tête du Katanga que ses sympathisants qualifient de succès. Des
routes, des centres de santé et des écoles ont été construits. Les recettes de
l’Etat ont été multipliées de manière exponentielle. Les conditions de travail
des employés congolais des entreprises multinationales ont été améliorées
apaisant ainsi les tensions sociales récurrentes dans cette riche province minière
qu’était le Katanga.
En plus, au moins
deux plates-formes regroupant certains grands partis politiques le soutiennent
et l’ont sollicité comme leur candidat avant même qu’il ne se prononce lui- même :
le Groupe de 7 ou G7 constitué de sept partis politiques ayant quitté la majorité
présidentielle l’année passée et l’Alternance pour la République réunissant
plusieurs petits partis. Si certaines des personnalités drainent derrière Katumbi
des foules des partisans qui s’ajoutent à ses propres soutiens, d’autres, par
contre, sont plus des handicaps, à cause de leur passé trouble. C’est le cas,
par exemple, de Gabriel Kyungu Wa Kumwanza, le président du parlement de l’ex
Province du Katanga. L’homme a certes une grande base populaire dans tout le
Katanga, mais est surtout connu dans d’autres coins de la RDC pour ses discours
xénophobes et quasi sécessionnistes et les méthodes brutales des jeunes de son
parti, l’UNAFEC, qu’il appelle, sans pudeur aucune, «combattants».
Par ailleurs,
Katumbi est aussi un homme d’affaires prospère et généreux. L’homme dispose
d’une grande fortune et figure parmi les Africains les plus riches et n’hésite
pas à donner. Dans le contexte politique congolais, la richesse peut être
considéré aussi bien comme un atout que comme un handicap. Elle sert à
entretenir les alliances et au financement de la lutte puisqu’il y a pas de
campagne politique sérieuse sans argent. Mais la générosité légendaire
de Moïse Katumbi et sa fortune attirent
aussi de nombreux opportunistes et parasites, ne partageant ni sa vision, ni sa
conviction politique.
En conclusion…
L’appât du gain et
l’opportunisme politique risquent de faire entourer Moïse Katumbi par les
mêmes dinosaures qui ont noyauté le régime du Président Kabila et celui de
Mobutu avant lui, les conduisant à la ruine. Espérons que Moise Katumbi qui a
toutes les chances pour gouverner la RDC ne serait naïf au point de répondre favorable
à toutes les sollicitations. Il devrait verser un peu de cire d’Ulysse dans ses
oreilles pour ne pas être séduit par tous les chants des sirènes de l’espace politique congolais.
Et au moins d’un recours aveugle à la force,
ce qui ne sera pas sans conséquence au regard de la justice internationale et de l’histoire ou d’un retournement de la
situation par l’acceptation par la majorité des Congolais du prolongement de
son mandat à cause du retard dans l’organisation des élections, le Président
Kabila devrait quitter le pouvoir d’ici la fin de l’année pour l’amour du pays,
en suivant l’exemple de l’ancien Président Michel Martelly en Haïti. Et le
peuple congolais lui sera éternellement reconnaissant de lui avoir épargné une
nouvelle guerre, d’une nouvelle crise et leurs conséquences.
De la lutte entre
Katumbi et le Président Kabila, qui plus se déroule au Katanga, dépendra
l’issue de la crise politique actuelle en RDC. Si le régime du Président Kabila
parvient à vaincre Moïse Katumbi en le faisant arrêter ou le contraignant à
l’exil – ce qui est aussi possible -, sans une réaction populaire décisive à
Lubumbashi, Kinshasa, Kisangani, Goma, Bukavu, Bunia, Mbuji-Mayi, Kananga,
Gbadolite, Matadi et autres grandes villes du pays, alors aucun autre
politicien congolais ne pourra se fonder sur le peuple congolais pour faire
plier le Président Kabila.
Entretemps, c’est
la guerre des nerfs entre le Président Kabila et Moise Katumbi. Le premier doit
tenir face aux pressions populaires et internationales et le second contre la
Justice et les services de sécurité congolais.
C’est celui qui sera apte à tenir mentalement le plus longtemps
possible qui gagnera. Quelle que soit l’issue, l’avenir des millions des
Congolais en dépendra!
A suivre…
UK
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